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LABORIMPROBUS: le journal de classe
12 décembre 2008

ATELIER DE LOGIQUE : LE CALENDRIER


AVERTISSEMENT :


Je voudrais évoquer notre séance de travail d’aujourd’hui en portant l’attention sur les efforts que doivent consentir mes élèves pour résoudre les problèmes que je propose à leur sagacité. La forme du texte sera différente des précédents présentés sur ce blog, qui privilégiaient l’évocation du dialogue. Plus austère, le récit ci-dessous cherche à pointer avec le plus de précision possible les opérations mentales qui balisent le parcours que les élèves ont dû accomplir avec mon appui pour parvenir à résoudre une seule question. En fait, ce parcours est celui que tout un chacun doit faire dans ce genre de situation, mais la plupart des personnes le réalisent sans aide et sans avoir conscience des ressources mentales qu’elles mobilisent.

Pour autant, je n’utilise pas de démarche instrumentée par la psychologie cognitive – je n’y ai pas de compétences – ce qui m’intéresse, c’est de décrire les chemins parfois inattendus que doit prendre le pédagogue pour accompagner des élèves en suivant aussi finement que possible les contours de leur « zone de développement proximale » selon la définition de  Vygotsky : "c'est la distance entre le niveau de développement actuel tel qu'on peut le déterminer à travers la façon dont l'enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement potentiel tel qu'on peut le déterminer à travers la façon dont l'enfant résout des problèmes lorsqu'il est assisté par l'adulte ou collabore avec d'autres enfants plus avancés" . Autrement dit, le développement actuel marque ce qu'un individu maîtrise déjà seul, le type et le niveau de fonctionnement cognitif qu'il est capable de mettre en œuvre de façon autonome pour résoudre un problème. La zone proximale marque ce qui peut constituer la prochaine étape de son développement actuel pour peu qu'une interaction sociale (avec un adulte ou des pairs) soit initiée. » 

Cela signifie que je postule avec fermeté que mes élèves ont en commun avec tous les autres élèves de disposer d’une zone de développement proximal qui ne demande qu’à être découverte et sollicitée. En ce qui les concerne, ce qui est peut-être particulier, c’est qu’on ne peut faire l’économie de cet effort alors que par ignorance le plus souvent, voire par négligence, on s’en dispense avec les autres élèves en croyant grossièrement qu’ils n’en ont pas besoin. Ce faisant, on ignore que parfois, ces derniers lâchent prise et se découragent de l’école pour cette simple raison. On appelle cela « échec scolaire » et on le fourre dans le grand sac noir des mauvaises raisons de ne pas avoir réussi à instruire.

Peut-être faut-il aussi en préambule dissiper tout malentendu : si quelqu’un, dans une séance comme celle-là peut parfois se trouver en difficulté, c’est le pédagogue. Il lui arrive de douter, de ne pas savoir quelle proposition faire, d’hésiter entre deux ou plusieurs voies possibles, d’aller dans une impasse momentanée à cause d’une erreur d’interprétation de ce qui se passe… mais qu’on aille pas dire, que nous avons affaire à « des élèves en difficulté » ! Si tel était le cas, c’est au pédagogue seul qu’incombe la faute – vénielle le plus souvent – de les y avoir mis. Faute, car « mettre en difficulté » est une faute pédagogique ; ce que n’est pas « mettre devant une difficulté », qui revient à proposer ce que tout chercheur rencontre et qui lui permet d’avancer : l’obstacle épistémologique. Redisons-le : la bonne humeur qui règne dans ces séances, le désir de poursuivre et les progrès accomplis sont les indicateurs nécessaires et suffisants pour se garantir contre le risque de « mettre en difficulté » et d’avoir la tentation malheureuse de s’en dédouaner en posant sur les élèves l’infamant oracle : « ils sont en difficulté ». Il ne peut y avoir d’élève en difficulté que dans une école normative, une école où on réduit l’élève aux performances personnelles qu’il manifeste rapportées à une échelle métrique dont la finalité la plus claire est d’opérer des classements, des assignations à des classes-objets. On dit alors de ceux qui sont dans pointe fine de la partie gauche de la courbe de Gauss qu’ils sont « en difficulté ». On devrait plutôt avoir la franchise de dire que dans la plupart des cas, on les a mis en souffrance, ou qu’au moins la souffrance scolaire s’est ajoutée à d’autres souffrances personnelles. En tâchant d’éviter autant que faire se peut ces situations fâcheuses, on autorise des élèves à effectuer les apprentissages possibles pour eux.
Les limitations des habiletés intellectuelles que manifestent les élèves en IME, limitations au demeurant extrêmement variées et variables d’un individu à l’autre et pour un même individu, ne doivent pas empêcher de faire sur leurs capacités d’apprentissage le pari de Pascal. Je parie qu’il n’y a pas pour eux de plafond de verre, je postule qu’il n’y a pas a priori à déterminer par avance une limite infranchissable à leurs apprentissages. Ce en quoi consistent leurs limitations n’est pas une butée, c’est une autre manière sans doute plus lente, plus sinueuse, plus mystérieuse de progresser. Ils suscitent de notre part la mise en œuvre de ce qu’on pourrait appeler une « pédagogie clinique » à l’affût du moindre indice d’une progression possible en un quelconque recoin de la vaste contrée des savoirs et habiletés. Ainsi, je veux conserver et partager avec eux la dynamique donnée par une ambition qui ne renonce pas sans se laisser emprisonner dans le défaitisme d’un diagnostic pessimiste.


Mais venons-en aux faits :


calendrier_march_
Nous nous engageons dans cet exercice. Je lis les consignes à voix haute, une à une.
La première ne pose pas de problème, la seconde, après un instant de réflexion, non plus.
En revanche sur la troisième, c’est le blocage total. Les propositions de réponses sont manifestement hasardeuses, bien que tous les trois se mettent à compter selon des procédures assez incompréhensibles sur leurs doigts. (incompréhensibles pour moi bien sûr, qui ne peut capter les trois procédures à la fois). Je propose de vérifier la connaissance de la récitation ordonnée des noms des mois du calendrier. Ça marche. Mais la réponse à la troisième consigne reste inaccessible. Je pense alors que c’est la présentation du calendrier en deux lignes qui pose problème. Je crée une liste en ligne dans un fichier PowerPoint.

Janvier – février – mars – avril – mai – juin – juillet – août – septembre – octobre – novembre – décembre.

Mais cela ne permet pas non plus de répondre à la question.
Je pose alors des questions qui réduisent « la distance » entre les mois, pensant que la difficulté vient du fait d’avoir à compter 3 mois. Sans succès. J’en viens à proposer des questions où il faut trouver le mois suivant immédiatement tel mois proposé. Là, ça marche.
Je me risque à proposer des écarts de deux, trois mois, toujours dans le sens de « après ». Ca marche mais il faut de l’entraide, et rien ne semble bien sûr. En tous cas, il ne fait pas aller au-delà de trois. Et puis surtout, pas moyen de savoir quel est le mois qui suit le mois de décembre.
Pour cela, je mets en cause la présentation en liste linéaire mais j’en viens aussi à penser à travers quelques embryons de leurs réflexions que les mois que l’exercice présente comme des unités de temps discrètes, sont peut-être considérés par les élèves comme des durées. A ce titre, ils présenteraient une difficulté à être comptés comme des unités.
Je leur propose un détour par le travail sur les jours. Quelques questions orales m’assurent qu’ils connaissent bien la liste des jours, les notions de « lendemain de » et de « veille de » ou au moins « jour d’avant », « jour d’après ». Première difficulté : quel est le lendemain de dimanche ? Il faudra en passer par l’évocation du vécu concret, « qu’est-ce qu’on fait après le week-end ? » pour trouver la réponse. Mais dès que je cherche à augmenter l’écart, ça devient difficile, voire impossible s’il faut aller « à reculons ».
Je leur projette alors à une présentation circulaire, en cadran.
Diapositive1
Ça les aide à comprendre qu’il n’y a pas de rupture entre dimanche et lundi. C’est l’autre représentation du temps, la représentation cyclique dont ils prennent ou reprennent conscience. C’est la représentation indispensable à mobiliser pour résoudre les types de problèmes posés. Il reste néanmoins des obstacles comme par exemple le comptage de case en case. Lorsqu’on cherche le troisième jour après mardi, faut-il dire « un » sur mardi ou sur le mot suivant ? Nous repassons par l’examen du lendemain, qui est 1 jour après. Pour en déduire ce que sera « deux jours après » etc…
Il n’est pas non plus sûr qu’on « tourne » toujours dans le même et bon sens sur le cadran. La mise en place de flèches apporte une aide. Nous ne sommes à parvenus à nous détacher de la projection, tout juste, passer de « montrer en touchant » à « compter avec les yeux, de sa place » puis « faire vérifier par quelqu’un en montrant ».
L’étape suivante a consisté à chercher « X jours avant ». Pour cela, il a fallu réfléchir au sens de rotation, s’accorder dessus et le dessiner. Alors, il a été possible de répondre à des questions du type « quel est le jour, trois jours avant jeudi ? »
Diapositive2
Un des élèves me glisse délicatement à l’oreille : « maintenant, ça c’est facile pour moi ! » Je lui demande de prendre patience afin de s’assurer que les deux autres maîtrisent cette étape. Quelques minutes après, cela semble être le cas, je propose de repasser au calendrier. Pour aller progressivement, je présente un calendrier en cadran.
Diapositive3 Diapositive4
Ce qui semblait bien assuré pour les jours de la semaine et aisément transposable dans un calendrier mensuel présenté de la même manière s’avère être une nouvelle et importante difficulté nécessitant une nouvelle étape de travail. Ce que j’avais entrevu de la différence entre la ponctualité des jours et la durée des mois constitue-t-il l’obstacle épistémologique en cause ? Le nombre d’objets (de 7, passer à 12) est-il en cause ?
Toujours est-il qu’en proposant d’en revenir à l’usage d’un comptage « sur les doigts » que certains avaient mis en œuvre sans succès en début de séance, les résultats ne sont guère meilleurs. En particulier peut-être parce que les mois sont des objets mots ordonnés certes mais sans origine autre que celle de la convention sociale qui affecte le numéro 1 à janvier, en tous cas pas des nombres, et en l’espèce, les questions posées proposent d’autres origines que janvier au comptage. Pour le dire simplement, on ne peut pas dire et rendre compréhensible directement une opération du genre « mai + 4 = septembre ». La technique communément employée par la plupart d’entre nous pour résoudre le problème « nous sommes en mai, en quel mois serons-nous, 4 mois plus tard ? » consiste à se montrer 4 doigts et à compter en touchant successivement chacun d’eux : « juin, juillet, août, septembre ». Cette opération banale dissimule bien des difficultés : Tout d’abord, il faut retenir les 3 informations principales du problème posé (mois origine, nombre de mois d’écart, sens de l’écart). Ensuite, il faut passer dans le registre numérique, en adoptant le même sens de progression, pour se montrer une constellation de 4 doigts (à condition même de savoir ces constellations, ce qui n’est pas toujours le cas de nos élèves). Puis, gardant les traces digitales du registre numérique, il faut passer dans celui des noms de mois et se remémorer celui qui a été proposé comme origine. En prononçant son nom, il ne faut rien faire avec les doigts puisque dans le registre numérique, il « vaut » la position zéro. Alors, on commence à réciter les noms des mois qui suivent en respectant la correspondance bi-univoque avec chaque doigt levé du premier jusqu’au dernier. Enfin, comme dans tout énumération, la réponse est dans le mot prononcé en touchant le dernier doigt levé. 

A suivre…

   

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Commentaires
C
Bonjour Jean,<br /> Un petit coucou de l'IME de Fourvière, où Gilles Gabillet est passé et m'a laissé ce lien fort intéressant...sûrement parce que je travaillais sur la date au moment où il est venu.Je vais adopter ta présentation circulaire.<br /> A bientôt !
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